colère
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La colère de Karim*

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** Ce texte sur la colère de Karim est une collaboration de M. François-Olivier Loignon, enseignant au secondaire et chef d’orchestre.**

*Les noms utilisés pour ce texte sont fictifs.

Jeudi matin, suppléance dans un groupe inconnu en Éthique et Cultures religieuses. Période agitée.

Idir a mauvais comportement qui dépasse les bornes, je l’expulse du cours. En sortant, il passe devant moi et me dit : « Vous monsieur, vous êtes chanceux qu’on ne soit pas en (pays d’origine) en ce moment. »

À ce point, c’est business as usual. Un adolescent frustré qui lance une menace baveuse envers son prof. On va avoir une discussion sur ce comportement, il va subir les conséquences et le dossier sera réglé.

Sauf qu’on fermant la porte, j’entends un autre élève, Thomas: « On sait ben, vous faites ce que vous voulez dans ce pays-là et vous ne respectez rien. »

Pour plusieurs, ce fut un soupir et un roulement d’yeux. Mais pas pour Karim, un troisième élève aux origines africaines qui avait assisté à toute la scène.

Pour Karim, c’est le commentaire de trop. Il se lève, bouillant de colère : « Monsieur, là ça suffit! Vous ne le laisserez pas s’en tirer encore avec ça. »

Je demande à Karim de se calmer. Après une discussion houleuse, il accepte de venir me parler après le cours et de se calmer. Au passage, j’avertis Thomas sur son propos inacceptable.

Aussitôt la cloche sonnée, aussitôt Karim est devant moi. Il m’explique que ça fait plusieurs commentaires du genre que Thomas fait. Il s’explique que ça suffit, qu’il ne tolérera pas ça.

Alors que le cours portait sur les relations amoureuses, je fais un parallèle : « Ta colère, c’est comme la jalousie. Tu as entièrement le droit de la ressentir et c’est tout à fait légitime. Mais c’est toi qui es responsable de décider comment l’exprimer et la gérer. »

Karim acquiesce.

« Karim, je comprends ta colère. Mais exploser en pleine classe comme tu l’as fait, ça ne règlera rien. »

Alors que je conclus la discussion, mes propres mots résonnent dans ma tête : « Je comprends ta colère. »

Et alors que la semaine se termine et que la fin de semaine commence, avec toute l’actualité de la dernière année, ces mots me tournent dans la tête.

« Je comprends ta colère. »

Combien de fois a-t-on entendu ces mots pour justifier l’inaction dans les dossiers du racisme, qu’il soit systémique ou non. Combien de fois les victimes de ces fléaux se sont fait répondre ce que j’ai répondu à cet élève? Qu’ils avaient raison, mais devaient contrôler leurs réactions.

« Je comprends ta colère » quand on assiste à des crimes racismes comme la mort d’Eric Garner où les coupables s’en sont tirés indemnes. Quand on entend les « All Lives Matter » en réponse aux revendications de « Black Lives Matter ».

« Je comprends ta colère » quand devant l’indignation suite au meurtre de George Floyd, on trouve des chroniqueurs pour nous dire qu’on importe les problèmes américains de notre côté de la frontière.

Alors qu’on trouve, ici même, des personnalités publiques et des groupes qui vont défendre bec et ongles un président qui flirt avec l’alt-right, le fascisme et les néo-nazis.

« Je comprends ta colère » quand devant la mort de Joyce Echaquan, on trouve des gens pour non seulement nier le racisme systémique et la discrimination dans nos institutions, mais se mettent à attaquer la victime, remettre en question sa santé, ses antécédents pour se trouver une autre cause.

« Je comprends ta colère » quand devant les personnalités de la communauté qui portent la cause de la dénonciation du racisme comme Fabrice Vil, Webster, Will Prosper, Émilie Nicolas, on a un gouvernement qui nie l’existence même du problème.

Quand, en plus de se faire whitesplainer la situation par des panellistes aussi blancs qu’ignorants de la réalité de ces communautés, ils doivent affronter des termes aussi insultants que méprisants comme « radicaux », « wokes », « racialistes », etc.

« Je comprends ta colère » quand un parti fédéral cherche à scorer politiquement en faisant tomber une motion concernant le racisme systémique que la GRC elle-même reconnait dans ses rangs.

Quand le chef de ce même parti souffle sur les braises de l’islamophobie pour marquer d’autres points lors de la nomination d’un ministre.

Quand un chef d’État provincial s’ingère dans une nomination municipale d’une commissaire au racisme parce que cette nomination ne concorde pas avec son nationalisme identitaire.

Cette colère, on la comprend trop souvent, sans reconnaître sa légitimité et sans en aborder les causes. Martin Luther King disait qu’on ne se souvient pas des mots de nos ennemis, mais des silences de nos amis.

Alors il est grand temps d’arrêter de simplement comprendre cette colère; nous devrions plutôt s’inspirer de ceux et celles qui la portent et nous en nourrir avec d’incarner, avec les personnes qui la vivent, des changements porteurs et concrets qui leur permettront d’améliorer leur sort.

Parce que sinon, comme disait JFK :

« Those who make peaceful revolution impossible make violent revolution inevitable. »

-François-Olivier Loignon

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