La précarité des enseignants au temps du Coronavirus
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** Pour ce texte sur la précarité, le masculin a été utilisé, car il reflète mon opinion et mon vécu des 12 dernières années. Par contre, cette situation est majoritairement vécue chaque année par des femmes (environ 75 %). **
La précarité des enseignants et enseignantes est un sujet qui me tient à cœur. Pour l’avoir vécu personnellement pendant près de 10 ans, je suis bien placé pour comprendre le sentiment que ressentent des milliers de jeunes profs partout au Québec en ce moment. Il s’agit sans doute de la période la plus difficile de l’année pour eux.
Il faut le vivre pour comprendre à quel point le tout peut être une source d’angoisse et de stress extrême. C’est d’ailleurs un sujet sur lequel j’ai eu la chance de travailler lors de mon mémoire de maîtrise en Éducation sur le sujet.
J’ai cherché à analyser les mécanismes derrière l’insertion professionnelle des enseignants précaires dans leur milieu de travail. Le but étant de comprendre pourquoi plus de 20 % des enseignants quittent la pratique dans les 5 premières années après leur diplomation. Vous pouvez d’ailleurs le consulter ici.
Sans dire que je suis un spécialiste, je crois avoir quand même développé une certaine expertise sur le sujet. D’ailleurs, en tant que conseiller pédagogique (j’ai une demi-tâche d’enseignant et une autre en tant que CP), je suis responsable de ce dossier pour le personnel du secondaire à mon Centre de services scolaires. Cette tâche est très importante et de plus en plus complexe avec les années.
La précarité des enseignants, c’est quoi au juste ?
Avant toute chose, il est important de définir le concept de précarité. La précarité, dans le domaine de l’enseignement, ce sont les premières années dans l’attente d’un poste permanent et d’une stabilité d’emploi. Un enseignant précaire est donc un contractuel. Certains plus chanceux peuvent obtenir le poste tant convoité en quelques années. D’autres, y compris plusieurs collègues et amis, ont dû attendre plus de 10 ans avant d’enfin obtenir la stabilité d’emploi et la tranquillité d’esprit.
Cela veut donc dire que ces enseignants précaires ne savent jamais d’une année à l’autre quelle sera leur tâche éducative pour l’année suivante. Tout est à recommencer à chaque rentrée scolaire.
Pour vous donner un exemple, pendant 10 ans, je devais participer à la fameuse séance de repêchage. Organisé par le département des ressources humaines des Commissions scolaires (Centres de services aujourd’hui), cet événement a pour objectif de combler les emplois dans les différentes écoles. Ils offrent donc tous les contrats disponibles lors de cette séance. Les contrats sont attribués par ancienneté chez les enseignants précaires.
Donc pendant 10 ans, je savais ce que j’allais enseigner la prochaine année environ 2 jours avant les premières journées pédagogiques de la fin août. Pour le commun des mortels, une telle affirmation peut ne pas paraître problématique…
Laissez-moi vous imager la situation
Pendant une décennie, je n’ai jamais eu la tranquillité d’esprit. Durant toutes ces années, je n’ai eu aucune sécurité d’emploi. En 10 ans, je n’ai jamais pu me planifier un budget adéquat, ne sachant jamais à quel pourcentage de tâche j’allais enseigner l’année suivante. Chaque année qui se terminait à la fin juin n’apportait aucune garantie pour l’année suivante. Donc chaque été doit être passé sur le chômage, car les contrats pour une année scolaire sont d’une durée de 10 mois, quand nous avons la chance d’en avoir un pour l’année complète.
Chaque été, c’est la période de stress et d’angoisse qui s’installe dès le début juillet. Est-ce qu’il y aura un contrat de disponible dans mon champ de compétence à l’automne ? À quelle(s) école(s) je risque de me retrouver ? Dans quelle(s) ville(s) ? Quelle(s) matière(s) je vais enseigner ? À quel(s) niveau(x) ? À quel pourcentage de contrat ? 100 % ? 75 % ? 50 % ? 33 % ? Pour combien de temps je vais travailler ?
Imaginez avoir à revivre ce scénario année après année. Le tout peut facilement devenir insoutenable. Ce n’est pas pour rien que les enseignants quittent la profession dans les premières années. Il s’agit d’un vrai purgatoire. Oubliez la sécurité d’emploi. Ne pensez pas à vous acheter une maison, les banques ne prêtent pas aux enseignants précaires.
Comment voulez-vous avancer dans la vie, fonder une famille, devenir accompli dans votre travail, quand on ne sait jamais où nous allons nous retrouver d’une année à l’autre ? Ce sont des années ingrates, qui peuvent décourager le plus motivé des enseignants. Et cette année, un nouveau facteur s’ajoute à cette période hautement anxiogène.
La rentrée scolaire au temps du Coronavirus
Maintenant que vous comprenez mieux la précarité des enseignants contractuels, ajoutons un nouvel élément à notre situation. La rentrée 2020 sera marquée, vous le savez tous, par la crise sanitaire de la Covid-19. C’est donc de dire qu’un nouveau facteur de stress s’ajoute. En plus de ne rien savoir sur la prochaine année, nous ne savons pas comment la rentrée sera effectuée.
Personne ne sait comment se déroulera l’année scolaire 2020-2021. Nous n’avons aucune idée des règles à suivre dans les écoles et les classes. Il y a des tonnes de questions, et très peu de réponses. Alors, mettez-vous à la place d’un enseignant précaire. Vous ne savez rien sur le travail qui vous attend pour la prochaine année. Et en plus de tout ça, aucune idée sur les conditions de travail avec lesquelles vous devez jongler chaque jour.
Le domaine de l’Éducation est en crise depuis plusieurs années. De nombreuses écoles vivent présentement une pénurie importante de personnel enseignant. Croyez-vous vraiment que la gestion actuelle de la situation par le ministre aide à la rétention de personnel ? Poser la question, c’est y répondre. Oui c’est une crise qui est exceptionnelle. C’est du jamais vu, et personne n’a eu à gérer une telle situation.
Notre société va maintenant en payer le prix
Mais la situation des enseignants a été négligée pendant des décennies. Il n’y a rien de nouveau ou de surprenant pour les acteurs du terrain. Mais nous payons maintenant en tant que société cette mauvaise gestion des conditions de travail des enseignants. De nombreuses classes n’auront pas d’enseignants en début d’année. Des centaines, voir des milliers de classes auront des enseignants non qualifiés pour la prochaine année.
Qui seront les grands perdants de cette mauvaise gestion des conditions de travail des enseignants ? Des dizaines de milliers d’enfants québécois. En ayant laissé l’Éducation dépérir un peu plus chaque année, les différents gouvernements n’ont fait qu’amplifier la crise que nous allons vivre cet automne. Et la pandémie n’a fait qu’exposer ce que les gens sur le terrain savent depuis longtemps.
Il est grand temps, en tant que société développée et industrialisée, de rendre l’éducation au cœur de nos priorités. Dans un monde où les fausses nouvelles et les complotistes gagnent en popularité, la seule façon de ne pas sombrer dans le chaos généralisé en tant que peuple, c’est l’éducation. Mais pour le gouvernement, une constante semble se dessiner, peu importe le parti au pouvoir.
L’école c’est secondaire…