L’improvisation en éducation, c’est assez !
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** Ce texte sur l’improvisation en éducation, sous forme de témoignage troublant, est une collaboration de Mme Alexandra Lajeunesse, enseignante**
Depuis quelques semaines, je lis sur les réseaux sociaux des publications qui parlent des suppléants. Approchez-vous chers collègues, je vais vous racontez une histoire comme je le fais souvent en suppléance à mes groupes de maternelle et de première année.
Toutefois, j’aurais aimé vous dire que cette histoire est fausse, mais non. Elle est vraie, puisque je vous la raconte. C’est moi qui en suis la protagoniste.
J’enseigne dans deux Centres de Services scolaires (CSS) de la grande région montréalaise. Cette année pour la rentrée, mes services ont été retenus par l’un d’entre eux. Je préfère conserver son anonymat. Je reviens d’un congé sans solde d’un an et demi. Je me suis fait attaquer par un élève dans mon autre CSS. (Mais c’est une autre histoire).
Le matin du 28 août, la répartitrice m’a téléphoné pour me demander si j’étais disponible pour la journée. Je l’étais. Alors, je me suis rendu à l’école à laquelle elle m’a attitré. Jusqu’à ce moment-là, ma rentrée 2020 se passait à merveille, mon retour sur le terrain était un charme. Le cauchemar était sur le point de se produire.
Je me suis rendue à l’école, la répartitrice m’avait téléphoné tard le matin même. Je me suis débattue avec la direction pour avoir droit à mes équipements de protection individuelle (2 masques de procédure et une visière), puisque je coûte trop cher en protection pour y avoir droit comme les autres.
Je gagne enfin ma classe.
Heureusement, j’avais mes masques dans mon sac à dos. C’est ce que je vais mettre pour la journée.
À mon arrivée dans la classe, mes élèves y étaient déjà depuis un bon vingt minutes. Dans un premier temps, j’apprends que ceux-ci n’ont pas de titulaire pour l’année qui débute.
Ensuite, je constate qu’ils y étaient assis au milieu d’un local entièrement vide. Oui, oui, il était aussi vide que lors de la fin de l’année précédente. Que suis-je censé faire ? Je ne voulais pas les traumatiser.
Ils commençaient la grande aventure du monde scolaire avec rien sauf un sac à dos et une boite à lunch. Il me manquait du mobilier qui arrivait dans la semaine après la rentrée. Je n’avais pas de matériel didactique non plus, mon tableau numérique intelligent ne fonctionnait pas.
La direction est venue me voir dans ma classe après mon arrivée presque triomphale aux yeux de mes élèves (digne de celle de WonderWoman) pour me confirmer les commandes que j’allais recevoir durant la semaine.
Ouf !
Je prends d’abord une pause parce que j’étais déjà essoufflée. Je m’assois au milieu de ce bazar devant mes élèves. Je prends les présences pour apprendre leurs noms et faire leur connaissance. Nous faisons la routine du matin, que j’ai imaginé, parce que j’ai déjà fait un stage au préscolaire.
Donc, j’ai fait ma planification en même temps que je l’exécute. Show must go on comme le dit si bien notre Céline nationale. C’est la première heure de ma journée. Mais attendez un instant ! Ce n’est pas fini, ce n’est que le début.
Mon groupe était séparé en deux, une moitié le matin et l’autre en après-midi. C’est la rentrée progressive. Attends ! Tu pensais peut-être que je prendrais la classe pour l’année, mais non.
Je n’étais pas là pour prendre cette classe pour l’année. Je n’étais que la suppléante occasionnelle qui remplaçait que pour la première journée, car je suis encore aux études (en 4e année, une chance).
Je ne pouvais pas prendre un 100 % à ce moment-là, malgré les demandes incessantes de la direction qui voulait que je reste. En plus, c’est l’ouverture d’une nouvelle classe de préscolaire.
LA JOIE !
Mes élèves n’avaient pas de prof, pas de classe et commençaient dans le milieu de l’éducation sans ressource. Je leur enseignais, ce matin-là, avec les moyens du bord. Je me suis débrouillée avec ma trousse du suppléant et le matériel didactique que je me suis acheté et construis au fil de mes années d’enseignement.
Cette planification, je l’ai fait dans ma tête, puisque mes élèves étaient devant moi quand je suis arrivée dans la classe. Pour ceux de l’après-midi, j’ai pris mon heure de diner pour la faire.
La maternelle 4 ans à tout prix du ministre de l’Éducation a donné ce résultat-là pour cette cohorte d’élèves.
Quelle triste rentrée ! Une première rentrée scolaire, ma foi mémorable (sans enseignante et avec la Covid).
J’ai fait mon possible avec mes élèves, dès que je suis entrée dans la classe. Je savais bien que ma journée serait une journée dont je me souviendrais toute ma vie. J’étais consciente qu’eux aussi s’en souviendront toute leur vie.
Je peux vous jurer une chose, j’ai fait des activités dignes de la maternelle, malgré les moyens que j’avais. Je ne voulais pas que mon groupe du matin sorte à la fin de la demi-journée en disant à leurs parents qu’ils n’avaient rien fait à l’école.
Tout ça parce que leur classe ne ressemblait pas à une classe, mais à une improvisation de classe (nous n’avions même pas de jeu, aucun livre, rien).
Mon but était d’avoir du plaisir, de permettre à mes élèves de faire des apprentissages et d’avoir vaincu l’adversité. Celle du manque de ressources présent plus que jamais dans ma classe ce matin-là.
Je ne voulais pas que mes élèves paient pour l’improvisation en éducation de M. Jean-François.
Mes élèves de l’après-midi ont eu droit à un sort différent de ceux du matin. Durant mon heure de diner, j’ai couru partout. J’ai tenté de voir avec la direction, pourquoi mon local était-il vide et non aménagé ?
Pourquoi avaient-ils garroché les élèves dans ce bazar, pour mieux les traumatiser pour la première fois ? La direction est venue dans ma classe, nous avons cherché des solutions pour que j’aie des jeux, du matériel pour faire du bricolage, mon matériel didactique pour l’année, un TNI fonctionnel.
Croyez-le ou non, j’ai réussi à partir à la fin de ma journée en me disant : MISSION ACCOMPLIE ? Mes élèves avaient une classe aménagée dans laquelle on trouvait du matériel (une vraie classe).
J’étais crevée, mais ils allaient pouvoir arriver lundi et avoir un environnement sain pour l’apprentissage à leur disposition. Ainsi qye tout ce dont un enfant a besoin pour s’épanouir et se développer sainement.
Je rayonnais de bonheur, d’avoir fait mon possible.
Mais, si je n’avais pas eu mes trois ans d’expérience (en suppléance et études en même temps), je ne crois pas que les choses se seraient passées ainsi.
Je suis revenue chez moi ce soir-là en me demandant ce que mes élèves allaient devenir. J’en ai fait de mauvais rêves toute la nuit. Je me demande ce que mes élèves sont devenus avec la pénurie d’enseignants.
L’enseignante en moi se sens coupable de ne pas avoir pu accepter ce contrat, de ne pas avoir pu les aider plus. Je les ai laissés à eux-mêmes moi aussi. Je me demande ce que Jean-François Roberge fera dans des cas comme ça. Va-t-il agir avant qu’il ne soit trop tard ?
Cette idée de la maternelle quatre ans accessible à tous aura fait payer une génération d’élèves encore une fois. Ne vous demandez pas pourquoi les jeunes enseignants quittent avant d’avoir atteint 5 ans de carrière. Des histoires comme celle-ci, j’en ai plusieurs à raconter.
C’est assez l’improvisation en éducation. Je n’ai plus envie de jouer. Nos élèves n’ont plus à être des joueurs contre leur gré. Le changement, c’est maintenant !
L’IMPROVISATION EN ÉDUCATION, IL FAUT QUE ÇA CHANGE.
-Alexandra Lajeunesse
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