Amélia et la grève des profs
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** Ce texte sur le mouvement de grève des profs est une collaboration de M. Francis Caron, enseignant**
Les parents d’Amélia ont dit que les profs allaient faire la grève. Son père ne comprend pas que des profs puissent les prendre en otage de la sorte. Et puis, ses parents estiment qu’Amélia a assez de retard comme ça à l’école.
Amélia et l’école, ça va de travers.
Elle se fait tomber dessus tout le temps.
Amélia c’est un paquet de nerfs.
Elle et un pop-corn dans l’huile, ça grouille autant.
Amélia quand elle passe de justesse, elle est fière.
Ça n’arrive pas souvent.
On a essayé avec elle les feuilles de récompense. Les minutes à reprendre. Les pilules. La faire recommencer son année. Elle reste la poche de la classe. Elle l’a compris assez vite. Dès la maternelle.
On l’a vite pris à part. On essayait fort de lui faire comprendre les lettres, mais elle n’avait aucune idée de pourquoi elle devait faire ça. Amélia voulait s’amuser, comme avant l’école. Elle voulait connaître les autres enfants de la classe. Elle voulait plein de choses, mais les lettres ?
Bof…
Pendant que les amis jouaient, elle faisait du temps supplémentaire avec les lettres. On l’aidait pour rattraper le retard. On l’empêchait ainsi de s’amuser avec les autres… L’école, ce n’était pas bien amusant, comprit-elle.
Au fil des années, on l’a analysée de toutes les façons pour savoir pourquoi elle était une « pas bonne ». On a pensé qu’elle était dys-machin ou encore dys-autremachin, mais Amélia, elle, savait qu’elle était juste Amélia.
Une Amélia qui connaissait toutes les planètes, qui pouvait faire une construction en un temps record, qui courait comme le vent, qui avait une imagination débordante, mais qui n’était pas comme Alice. Alice, elle, était bonne dans les lettres. Alice, elle s’assoyait sagement…
Amélia se demandait souvent pourquoi il faudrait que tous les élèves soient des Alice. Pourquoi aurait-elle dû être bonne dans les mêmes choses qu’Alice? Amélia sait plein de choses pourtant, mais c’est juste qu’elle est bonne dans des choses qu’on ne lui demande pas à l’école.
Sa prof de cette année est très patiente avec elle, mais elle a 26 élèves dans la classe. Cette enseignante ne peut pas toujours être avec Amélia.
Il y a parfois Mme Vicky qui est là pour l’aider. Elle a le tour pour lui faire voir les choses autrement, mais Mme Vicky se promène de classe en classe. De plus, elle ne peut pas toujours être avec Amélia.
Elle a Mme K qui est tellement géniale avec elle. Mme K ne l’aide pas juste avec son français. Elle lui parle de son cerveau, de l’amygdale, de l’hippomachin et tout ça. Ça l’aide à se comprendre, et à mettre des stratégies en place, mais elle passe si peu de temps avec Mme K.
*** L’histoire derrière la grève ***
L’histoire d’Amélia n’est pas l’histoire d’une vraie élève, mais elle est l’histoire de tous ces enfants qui ne répondent pas aux attentes de l’école. Tous ceux qu’on étiquette « trouble de comportement » ou encore « trouble d’apprentissage ».
Et si l’école avait un trouble d’enseignement à la place ? Si c’était ce moule dans lequel tous les enfants, peu importe leurs forces et leurs intérêts, doivent passer qui était problématique ?
Dans le réseau scolaire, il y a beaucoup d’enseignantes* qui aimeraient qu’on puisse faire autrement. Partir des forces de l’élève. Regrouper les élèves en fonction d’où ils sont rendus et non juste par leur âge. Plein d’initiatives sont dans leurs têtes, mais pour faire autrement, ça prend du temps. Ça prend souvent de l’argent. Ça prend des gens.
Les enseignantes qui le font présentement le font bénévolement. Souvent sur le temps qu’elles consacreraient à leur famille, à elles-mêmes. En éducation, c’est la norme d’en faire toujours plus sans obtenir un dollar de plus. Connaissez-vous beaucoup de métiers où c’est ainsi ?
Les profs feront la grève prochainement. Vous avez le droit de voir tous les problèmes que ça vous occasionne comme dans l’exemple des parents d’Amélia.
Vous pouvez également voir le souhait sincère des enseignantes que notre réseau d’éducation se donne les outils pour faire différemment pour tous les élèves du Québec.
Il faut plus de profs.
Donc des conditions et des salaires qui peuvent compétitionner avec les autres métiers.
Si les enseignantes étaient déjà si gâtées, on ne parlerait pas de pénurie d’enseignantes. On ne parlerait pas qu’environ 20 % des profs démissionnent dans leurs 5 premières années de carrière. On n’aurait pas autant d’enseignantes non qualifiées qui sont devant vos enfants.
Il faut plus de temps. Donc moins d’élèves par classe pour avoir le temps pour chacun et qu’on cesse de toujours ajouter des tâches dans l’horaire des enseignantes. Les laisser enseigner. Les laisser réimaginer l’école.
Il faut plus d’argent, et surtout que cet argent n’amène pas une surcharge de travail pour les enseignantes.
Comme société, il est temps que les parents, les directions, les centres de services scolaires et tous les acteurs socioéconomiques du Québec se tiennent avec les profs pour affirmer haut et fort que l’éducation est importante pour tous et qu’il faut que ça change vraiment.
Il faut offrir les conditions pour que les Amélia arrêtent de croire qu’elles sont des « pas bonnes » et qu’on puisse offrir une vraie place à tous les enfants dans le réseau scolaire.
* Le féminin est employé afin d’alléger le texte et rappeler l’importance des femmes dans le réseau scolaire.
Francis Caron, enseignant