Paraguay: Le conflit oublié
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** Ce texte sur le conflit oublié de la Triple alliance sud américaine face au Paraguay est une collaboration de M. François Clouâtre. La correction et la révision linguistique a été réalisée par Mme. Alycia St-Pierre**
J’ai toujours eu, depuis ma tendre enfance, une passion dévorante pour l’histoire. Je n’avais jamais l’impression d’en connaître suffisamment, comme s’il y avait toujours des choses, des aspects méconnus et fascinants qui m’échappaient.
C’est sûrement cet état d’esprit, qui d’ailleurs ne me quittera probablement jamais, qui m’avait amené à prendre mon petit globe terrestre et à le faire pivoter avant de l’arrêter en posant mon doigt dessus.
À partir de là, peu importe le pays sur lequel mon doigt se posait, je m’obligeais à lire sur l’histoire du pays en question pendant au moins une semaine. C’est de cette façon que j’ai appris l’histoire de pays qui d’habitude ne susciteraient que bien peu d’intérêt pour l’amateur d’histoire moyen.
Un conflit au Paraguay?
Dans ce cas précis, c’est en lisant sur la République du Paraguay, enclavée au milieu du sud du continent américain que j’ai pris connaissance de cette guerre.
Je suis convaincu qu’en voyant l’image ci-dessus, la majorité d’entre vous a immédiatement pensé à la Première Guerre mondiale, voire à la guerre de Sécession, mais il n’en est rien.
L’évènement, dont je vais humblement tenter de vous faire connaître l’existence, se déroule en Amérique du Sud entre 1864 et 1870 : c’est la guerre de la Triple Alliance.
Cette guerre oubliée, qui implique le Paraguay contre le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay, est encore, à ce jour, le conflit le plus destructeur et sanguinaire de l’histoire de l’Amérique du Sud postcolonial. Elle aura durablement changé le visage du continent et des pays impliqués, et ce, jusqu’à aujourd’hui.
Un continent anarchique
L’Amérique du Sud était devenue, depuis l’indépendance des diverses colonies, une véritable poudrière : la moindre étincelle aurait pu enflammer le continent tout entier et Dieu sait qu’à cette époque, les raisons pouvant mener à un conflit armé étaient nombreuses.
Au premier plan, il y a la question des frontières entre les nouveaux États récemment indépendants. Dans un continent aussi vaste et en grande partie inexploré, les frontières étaient trop souvent théoriques et fondées sur des informations obsolètes ou erronées et non sur la réalité géographique des lieux.
Ainsi, le flou entourant les frontières réelles entre les différents pays conduit à de grandes tensions autour de vastes zones disputées couvrant des dizaines de milliers de kilomètres carrés.
Après quelques décennies, les différents traités, avoués et désavoués au gré des coups d’État, ne réussissent pas à régler pacifiquement les conflits et de nombreuses guerres éclatent avant que le continent établisse ses frontières actuelles.
À cette situation, il faut ajouter l’incroyable instabilité politique de la région. Mis à part quelques rares exceptions, les dictateurs se succèdent à un rythme effréné et souvent, le régionalisme l’emporte sur l’autorité du gouvernement central, s’ajoutant ainsi à la confusion des frontières.
Les tensions
La situation géopolitique de la région du Rio de la Plata, peu après la fin de l’époque coloniale, est très complexe. Chacun des pays de la région a sa particularité et ses intérêts bien propres reflétant leur singularité.
L’Argentine
L’Argentine est, depuis son indépendance en 1816, dans un état de guerre civile quasi permanent. Buenos Aires lutte alors férocement pour imposer son hégémonie sur le reste de la Confédération argentine qui est, dans les faits, encore assez théorique.
Au même moment, l’Argentine est aussi en conflit avec le Brésil concernant le territoire disputé qui deviendra plus tard l’Uruguay, mais qui était alors considéré comme la province de Banda Oriental par Buenos Aires et comme la Provincia Cisplatina par Rio de Janeiro.
Ce n’est qu’à la veille de la guerre de la Triple Alliance que Buenos Aires vaincra finalement les régionalistes et unifiera le pays sous la coupe de Bartolomé Mitre.
L’Uruguay
Le territoire qui deviendra l’Uruguay est, depuis l’arrivée des Européens portugais et espagnol, un territoire disputé dans la région. En effet, il changera plusieurs fois de mains jusqu’à l’indépendance du Brésil, dont il en deviendra une province.
Ayant une population fortement majoritaire hispanophone, cette dernière se révolte rapidement et demande à rejoindre la Confédération argentine, Buenos Aires soutient le projet dans un premier temps.
Après une guerre qui durera près de trois ans et une intervention diplomatique britannique, le Brésil et l’Argentine acceptent tous deux à renoncer au territoire en question. Ils préfèrent que celui-ci devienne un petit État indépendant servant de tampon entre les deux pays plutôt que de le voir entre les mains de l’un ou de l’autre.
C’est la naissance de l’Uruguay qui tombera aussitôt en guerre civile opposant les conservateurs (Blancos) et libéraux (Colorados). Au terme de la guerre civile, les Colorados de Venancio Flores prendront le pouvoir.
Le Brésil
L’histoire de l’indépendance du Brésil est un fait unique dans l’histoire coloniale, puisque celui qui en est responsable est nul autre que l’héritier du trône portugais, le prince, fils du roi de la puissance colonisatrice.
Le jeune prince, qui a dû s’exiler au Brésil après l’invasion du Portugal par Napoléon Bonaparte, est tombé amoureux de sa terre d’accueil et après quelques années en terre brésilienne, il renonce au trône portugais et proclame l’indépendance de l’Empire du Brésil en 1822. Il combat son père jusqu’à ce que celui-ci accepte la perte de sa colonie. Le prince deviendra ainsi le premier empereur du Brésil sous le nom de Pedro I.
Eh oui, on l’oublie, mais le Brésil a été une monarchie constitutionnelle pendant presque 70 des premières années de son existence. Bien entendu, comme c’est l’Amérique du Sud, Pedro I a dû faire face aux révoltes et aux guerres d’indépendance de certaines provinces brésiliennes hostile au gouvernement de Rio de Janeiro. Ultimement, il réussira à vaincre les divers mouvements sécessionnistes et laissera à son fils, Pedro II, un pays relativement stable et pacifié.
Le Paraguay
Le Paraguay est véritablement un cas à part. Non seulement en Amérique du Sud, mais aussi dans l’histoire en général j’aurais envie de dire. Le territoire du Paraguay est habité lors de l’arrivée des Européens dans la région par le peuple guarani.
Dans un premier temps, il n’y aura aucune conquête ni une véritable colonisation. Une poignée de jésuites ira dans cette région très isolée pour créer des communautés appelées « Reduccion », soient de grands villages administrés par les autochtones eux-mêmes.
Les Guaranis, ayant des croyances, qui comparativement à d’autres tribus du continent sont étonnamment proches du christianisme, se convertiront en masse à cette religion, et ce, de façon assez volontaire.
Les prêtres guaranis, formés par les jésuites, apprendront à leur peuple à lire et à écrire. Les Guaranis auraient été, paraît-il, le premier peuple au monde à devenir presque entièrement alphabétisé.
En quelques dizaines d’années, les Reduccionse comportent en véritables petits pays autonomes et organisés, ce qui attirera les hostilités des Portugais et des Espagnols rivaux. Exceptionnellement, les deux pays s’allieront pour détruire les Reduccionet renvoyer les Guaranis dans la forêt.
Les jésuites combattront et mourront aux côtés des autochtones, refusant de se tourner contre eux et d’obéir aux directives données par leur pays d’origine. Cette fondation particulière formera l’identité très forte des habitants du pays. Le Paraguay sera ensuite colonisé plus directement par l’Espagne ; les colons blancs demeureront cependant peu nombreux.
L’Indépendance du Paraguay
En 1811, le Paraguay est le tout premier pays du continent à déclarer son indépendance de l’Espagne et après quelques années d’instabilité, José Gaspar Rodríguez de Francia devient le dirigeant incontesté du pays pendant près de 25 ans.
Son règne est d’une isolation quasi totale du reste du monde. Le pays vit dans l’autarcie la plus totale, mais il jouit d’une stabilité exceptionnelle comparée à ses voisins. Francia promulguera des lois plutôt surprenantes, comme la nationalisation de l’Église et le mariage métis obligatoire entre les blancs et les autochtones pour créer une nation paraguayenne homogène plus unifiée.
Succédera ensuite Carlos López, puis son fils Francisco Solano López. Ceux-ci amorceront le développement du pays en posant le premier chemin de fer et le premier câble télégraphique du continent. Ces installations placent le Paraguay comme la puissance montante de la région. Ce développement très rapide attirera des hostilités grandissantes de la part des pays voisins qui voient le succès comme une menace à long terme.
C’est la guerre !
Après des études en France où il fréquentait la cour de Napoléon III grâce à son amante irlandaise Eliza Lynch, López revient au Paraguay accompagné de celle-ci. Peu de temps après son retour, son père meurt et lui succède pour gérer le petit, mais prospère pays en pleine ascension. López se rêve en Napoléon d’Amérique du Sud. Sa personnalité mégalomane fera en sorte qu’il avait une vision de ses propres talents et de la puissance de son pays qui était bien loin de la réalité.
Aujourd’hui, on dirait qu’il a fait de son pays une petite Corée du Nord. En effet, il lève la plus grande armée du continent, alors que son pays est l’un des moins peuplés. Cherchant un prétexte pour la guerre, il regarde en Uruguay ou les Blancos et les Colorados se livrent dans une lutte à mort pour contrôler le nouveau pays.
López y voit une occasion de sécuriser les régions disputées du Paraguay avec ses voisins et même de conquérir un accès à la mer par le fait même, afin de désenclaver le pays très isolé, de pouvoir accéder au reste du monde et de poursuivre le développement en cours. Il décide de soutenir les Blancos et prépare son armée à intervenir directement.
Le Brésil s’en mêle
Inquiet d’une expansion paraguayenne, Pedro II, l’empereur du Brésil, se mêle de la partie et soutient les Colorados, en envoyant sa propre armée en Uruguay. Le Paraguay, n’ayant pas de frontières communes avec l’Uruguay, López demande à l’Argentine un droit de passage pour son armée, ce qu’elle refuse catégoriquement.
Bénéficiant de la plus grande armée de la région, López prend le risque de l’initiative et attaque non seulement le Brésil, mais aussi l’Argentine en misant sur la surprise et la vitesse. Les Paraguayens remportent un nombre important de batailles et envahissent les régions de Misiones, de Corrientes et du Mato Grosso.
Malheureusement pour lui, López n’arrive pas à temps en Uruguay. Avec l’aide des Brésiliens, les Colorados emportent la victoire et Venancio Flores, chef du parti Colorado, devient président du pays. Ce dernier, Pedro II et le président argentin, Bartolomé Mitre, forment la Triple-Alliance. L’objectif : vaincre le Paraguay et obtenir réparation.
Le Paraguay est désormais seul contre tous.
Dans un premier temps, le Paraguay tient le terrain face aux armées des alliés, mais les attaques sur plusieurs fronts finissent par affecter l’efficacité de la défense du pays. Lors de la bataille navale de Riachuelo, le Paraguay perd la totalité de sa flotte de guerre et par la même occasion, le contrôle du fleuve Paraguay. Il s’agit d’ailleurs du fleuve qui a donné son nom au pays.
Maintenant, la principale voie de communication et de ravitaillement de la région est entre les mains de la flotte brésilienne. À partir de là, le Paraguay sera constamment sur la défensive.
Le sort même de la guerre se joue lors de la bataille de Tuyutí, une bataille surnommée la « Waterloo d’Amérique du Sud » par les historiens à cause de son importance et de son ampleur encore de nos jours inégalés sur le continent.
Le 24 mai 1866, deux ans après le début de la guerre, 26 000 soldats paraguayens tentent de dresser une embuscade contre 35 000 soldats de l’alliance campant dans la région.
La surprise aurait dû permettre une éclatante victoire du Paraguay, mais l’attaque est mal coordonnée et les colonnes de soldats passant par la forêt n’arrivent pas toutes en même temps : l’efficacité de l’attaque est brisée.
Comme Solano López, en bon dictateur, prend chaque décision. Le commandement sur place n’a pas le droit à l’initiative et après une journée de combat, la victoire de l’alliance est totale : 13 000 soldats paraguayens les plus expérimentés et entraînés du pays meurent, tandis que l’alliance n’essuie qu’une perte de 4000 hommes, principalement brésiliens.
La fin est proche
À la suite de cette défaite catastrophique qui, en principe, consacre la victoire de l’alliance, la guerre durera encore 4 effroyables années. Refusant la défaite, les Paraguayens défendent les fortifications du pays et harcèlent les forces du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay avec des tactiques de guérilla. Considérant que le Paraguay n’est plus une menace, les pays adverses ont retiré leurs troupes.
À ce point précis, la guerre prend une tournure presque personnelle entre Solano López et Pedro II. L’un doit détruire l’autre et ce, peu importe le coût financier et humain. Cet aspect prend une tournure particulièrement macabre et absurde lors de la dernière grande bataille de la guerre au nord du pays à Acosta Ñu.
Ce jour-là, le 16 août 1869, 3500 « soldats » paraguayens, presque en totalité de très jeunes enfants et les quelques vétérans encore en vie font face à 20 000 soldats brésiliens et leurs canons. La totalité sera tuée, blessée ou capturée. Aujourd’hui, le 16 août est la fête nationale de l’enfance au Paraguay.
Peu de temps plus tard, Soloano López ainsi que son fils sont retrouvés avec quelques fidèles près de Cerro Cora où ils sont tous deux tués par des soldats brésiliens. Les derniers mots de Lopez auraient été : « Je meurs avec ma nation » et en voyant le bilan de la guerre, ces derniers mots étaient appropriés.
Un bilan apocalyptique
Après plus de 5 années de guerre, le bilan pour le Paraguay est catastrophique. Le pays aura perdu entre 60 et 70 % de sa population totale, soit entre 300 000 et 400 000 morts. De ce chiffre, 90 % sont des pertes masculines, détruisant le ratio homme-femme pour les décennies à venir.
En effet, dans les régions les plus dévastées, le ratio pouvait tourner aux alentours de 1 homme pour 20 femmes. Un premier recensement de l’après-guerre a donné 28 000 hommes survivants, étant majoritairement des enfants et des personnes âgées.
Ainsi, une génération complète de femmes paraguayennes aura vécu dans de grandes pensions pour femmes non mariées et sans famille. La capitale du pays et seule véritable ville, Asunción, a été pillée et abandonnée. Les forces brésiliennes vivant au pays auront complètement détruit les récoltes laissant peu, voire rien à manger.
Outre les pertes humaines, le pays aura perdu tous les territoires disputés avec ses voisins et devra payer réparation à ceux-ci jusqu’en 1935. Ironiquement, l’acharnement extraordinaire et déconcertant des Paraguayens lors de la guerre poussera les alliés à laisser le pays indépendant alors que l’Argentine aurait simplement préféré annexer le pays dans un premier temps.
En terminant, voici le refrain de l’hymne national de ce pays qui a chèrement payé sa liberté et son existence et qui mérite pleinement d’avoir ces quelques lignes dans son hymne.
« Paraguayen, la République ou la mort !
Notre esprit nous a donné la liberté ;
Ni oppresseurs ni esclaves n’existent
Là où règnent l’union et l’égalité »
-François Clouatre
Donc le film Mission (1986) faisait référence à cet épisode au Paraguay où les Jésuites ont préféré rester avec les guaranis au péril de leur vie? Merci pour l’information.
Tres intéressant. Conflit totalement oublié en effet, ce qui est étonnant aux vues des conséquences pour toute la région et même jusqu’à aujourd’hui.