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Remercier les profs

** Ce texte sur la journée mondiale des profs est une collaboration de M. François-Olivier Loignon, enseignant au secondaire.**

La semaine, c’était la journée mondiale des enseignants.

Ces êtres extraordinaires qui se lèvent chaque matin pour contribuer à faire un monde meilleur par le biais de nos jeunes. Et les messages de remerciements ont plu sur les réseaux sociaux.

Mais cette année, j’ai eu du mal à apprécier les messages de remerciements de cette journée. Peut-être était-ce à cause de l’année dernière qui fut difficile. Peut-être était-ce à cause des nombreux commentaires contre les profs qui surgissent à chaque négociation de la convention collective et qui sont encore trop frais dans ma mémoire.

Néanmoins, je me suis demandé ce que j’aimerais répondre à ces messages de remerciements. Que répondrai-je à ces personnes qui profitent de cette journée pour remercier un prof?

Je dirais aux parents qui remercient les profs d’avoir changé la vie de leur enfant de se rappeler la quantité d’obstacles franchis pour atteindre ce résultat. Des obstacles physiques quand ton local est trop petit ou que tu n’as même pas de local. Des obstacles financiers quand l’école ne peut soutenir les besoins de ta classe. Des obstacles moraux en recevant tous ces messages de bêtise de parents insatisfaits qui ne reconnaissent pas l’expertise du prof qu’ils engueulent.

Je dirais aux parents qui remercient les profs pour leur temps de prendre quelques minutes du leur pour contempler l’ampleur ce fameux temps. Des fins de semaine à sacrifier la vie personnelle/familiale pour planifier, corriger et explorer. Des moments non prévus à être disponible pour écouter paisiblement vos enfants se confier. Du temps de planification pris à essayer de remonter le moral de l’élève en larmes qu’on vient de croiser dans le corridor. Du temps donné sans compter, mais sans être rémunéré non plus.

Je dirais aux gens qui soulignent l’influence qu’un prof a eue dans leur vie de penser à celle qu’ils pourraient avoir dans la vie de ce prof. En reconnaissant publiquement le travail important des enseignants plus qu’une journée par année. En aidant à combattre les préjugés qu’on entend sans cesse sur la profession enseignante. En arrêtant de comparer les profs qu’ils ont aimés à ceux qu’ils ont moins aimés devant leurs enfants.

Je dirais aux citoyens qui remercient les profs pour leur investissement que la meilleure façon de les remercier est en s’investissant à leur tour. De s’investir en s’intéressant aux enjeux qui touchent les écoles québécoises. De s’investir en s’indignant de l’état physique de certaines écoles. De s’investir en s’impliquant dans leur école de quartier, que ce soit pour un conseil d’établissement ou simplement dans les activités communautaires.

De s’investir en choisissant des leaders qui ont vraiment l’école québécoise à cœur. De s’investir lorsque ces leaders sont prêts à financer démesurément des projets monstres alors qu’un réseau d’éducation exsangue doit se contenter des miettes qu’on veut bien lui laisser.

Je dirais aux citoyens qui nous remercient de former la jeunesse d’écouter cette même jeunesse. De l’écouter lorsqu’elle parle d’enjeux qui la touchent comme le climat et la justice sociale. De l’écouter lorsqu’elle apporte des nouvelles idées, même si elle bouleverse ton confort.

De l’écouter lorsqu’elle apporte sa vision et sa conception d’une meilleure société. De l’écouter sans la dénigrer et sans condescendance. De l’écouter malgré ses maladresses, ses mœurs différentes, son langage qui n’est pas familier.

Je dirais aux politiciens qui remercient notre dévouement que leurs actions valent toujours plus que les mots. Qu’il est difficile de croire en leurs remerciements lorsqu’ils prennent des décisions sans juger des impacts de celles-ci sur l’enseignement des profs. Qu’il est difficile de croire à des remerciements qui suivent un énième changement d’orientation du ministère qui leur est imposé à une fin de semaine de préavis.

Qu’il est difficile de croire en leurs remerciements quand l’école reçoit des miettes de budget qui sont loin de combler les coupures que le réseau a subies. Qu’il est difficile de croire en leurs remerciements lorsqu’on reçoit des conditions de travail déplorables et des miettes à chaque négociation et qu’on nous culpabilise de demander plus.

Je dirais aux gens qui nous remercient de notre vocation de s’en rappeler à chaque fois qu’on leur vomira les clichés sur les profs. De se rappeler que les « vacances d’été » ne sont pas des « vacances payées » et qu’une grande partie est consacrée à la planification de matériel. De se rappeler que malgré 4 ans de baccalauréat, le salaire maximum qu’ils pourront atteindre reste bien en deçà d’autres métiers demandant une scolarité moindre.

De se rappeler que plusieurs d’entre eux doivent investir de leur argent personnel dans leur classe. De se rappeler que la précarité en début de carrière peut atteindre 5, 10 et même 15 ans. De se rappeler que pendant cette précarité, chaque mois d’août devient une période d’anxiété quand tu ne sais pas où tu enseigneras, ni à quelle clientèle, ni quelle matière.

Je leur dirais que la meilleure façon de nous remercier n’est pas dans un tweet, un statut Facebook ou une publication Instagram annuels, mais par leur geste. En s’impliquant dans l’apprentissage de leur enfant tout en faisant confiance à l’enseignant. En s’informant auprès de l’enseignant pour avoir son point de vue de ce qui est mieux pour leur enfant.

En s’impliquant pour l’amélioration du système d’éducation québécois actuel. En s’indignant lorsque ce réseau reçoit plus de belles paroles que d’attention des politiciens qui en sont en charge.

Je leur dirais que si on pouvait réaliser tout ça, la journée mondiale des enseignants aurait lieu chaque jour.

François-Olivier Loignon

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