profs fous
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Non mais ils sont fous ces profs !

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** Ce texte sur les profs, publié dans le cadre de la semaine des enseignants, est une collaboration de M. François-Olivier Loignon, enseignant au secondaire en musique et chef d’orchestre.**

17 h 5, toujours dans mon local de musique.

« Monsieur, vous devez être fous les profs. »

Je lève les yeux et je regarde Gaston, secondaire 1, qui était resté pratiquer à l’école puisqu’il ne peut pas rapporter son instrument à la maison.

« C’est vrai. Vous passez 12 ans de votre vie à aller à l’école, puis vous allez en passer un autre 6 ans pour devenir prof. Tout ça pour revenir finir votre vie encore à l’école, sans même être bien payés. »

Après avoir discuté et ri, Gaston me souhaite une bonne journée et repart chez lui. Je suis resté à réfléchir.

Réfléchir à toute la planification à faire pour chaque 75 minutes de cours, les projets à monter, le répertoire à écouter, les pièces à étudier, les partitions à photocopier, les horaires de répétition et je me dis qu’il faut être effectivement un peu fou.

Je regarde mon coin d’instruments à réparer et je pense à mon inventaire d’instruments que je peine à garder en ordre, ma réserve d’anches qui diminue drastiquement, mon matériel d’entretien à renouveler, mes partitions à classer et je me dis qu’il faut effectivement être fou.

Je pense à tous ces projets sur lesquels je passerais des heures à planifier si nous n’étions pas COVID : visite de l’opéra de Québec, recherche de concerts pédagogiques, compétitions musicales, ateliers d’instruments, concert de fin d’année.

Tout ça pour rendre l’expérience musicale de mes jeunes unique.

Et me je dis qu’il faut vraiment être fou.

Je pense à ma chance d’avoir une merveilleuse équipe-école et une direction qui croient en la musique et j’ai une pensée pour mes collègues qui n’ont pas ma chance.

Les uns qui doivent se battre pour le budget minimum nécessaire à la survie de leur département. Les autres qui doivent négocier chaque année leur nombre de périodes (quand ils ne doivent pas tout simplement justifier leur existence).

Ceux qui doivent rappeler aux parents et aux collègues que la musique n’est pas juste une petite matière. Et ceux qui doivent se contenter des miettes qu’on leur a laissées après que le sport soit passé.  

Pour finalement devoir entrer dans une compétition malsaine avec les profs d’arts plastiques ou d’arts dramatiques et je me dis qu’on est vraiment fous.

Je regarde mon horloge et je me dis que je suis fou de rester aussi longtemps le soir.

D’ouvrir mon local tous les midis et tous les soirs pour permettre aux jeunes qui ne peuvent pas pratiquer à la maison de le faire à l’école. Pour leur permettre de progresser.

Parce que je vois la petite étincelle dans leurs yeux et que je visualise le feu que ça pourrait allumer. Je pense aux samedis que je suis venu à l’école parce que des élèves ont eu un projet de fou, aux soirs de montage à faire chez moi en sachant très bien que c’était du temps supplémentaire non payé.

Je pense aux parents qui vont m’accuser de me plaindre le ventre plein. À ceux qui vont me remettre mes « deux mois de vacances » en pleine face. Qui vont m’appeler pour remettre en question la note de leur enfant et, au passage, mon jugement et mes compétences professionnelles.

Qui vont me dire encore que les jeunes se sacrent de Beethoven (ou même d’Abba), que j’aurais dû considérer « Au Clair de la Lune » comme une chanson populaire et que, de toute façon, leur enfant ne sera pas musicien alors ma matière n’est pas importante.

Je pense à mon ministre qui, suivant la lignée de bien des prédécesseurs, nous offre son respect en parole, mais son mépris en action. Un homme qui nous dit qu’on est importants, mais s’adresse à nous seulement durant nos heures de travail.

Qui nous dit vouloir valoriser la profession, mais essaie d’augmenter nos heures de travail sans augmenter notre salaire. Un simple prof qui préfère s’accrocher à une vision utopique et déconnectée du milieu plutôt que d’écouter les profs sur le terrain.

Et le verdict est tombé : je suis vraiment fou.

Ou plutôt, comme aiment le dire mes collègues peu importe l’école que je fréquente, passionné.

Passionné de voir la musique transformer tous ces jeunes, ne serait-ce que minimalement. Passionné de penser aux bienfaits qu’on peut introduire dans la société en glissant un peu de musique dans la vie de ses futurs citoyens.

À 17 h 30, limite imposée personnellement, je ferme les lumières, verrouille la porte et quitte mon local, en souhaitant pouvoir encore m’alimenter de cette folie passionnée sans qu’elle ne me consume.

François-Olivier Loignon — Enseignant de musique

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