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Enseigner en Chine : c’est le monde à l’envers!

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Afin d’offrir une perspective différente sur le monde de l’Éducation et de l’enseignement, je vous propose une entrevue exclusive avec M. Xavier Fliche. Québécois d’origine, il a choisi de faire sa carrière comme enseignant en Chine. Retour sur un parcours haut en couleur!

Jonathan: Xavier, je vais commencer par la question que tout le monde se pose en ce moment. Mais comment un québécois de l’Outaouais se retrouve à être enseignant en Chine ?

Xavier: Pas mal la première question que tout le monde me pose ! Hé bien, quand j’ai fini mon bac, je me demandais quoi faire ensuite, tout ce que je savais est que je voulais explorer le monde un peu.

J’avais déjà la piqûre du voyage et j’avais été une fois en Thaïlande, deux fois en Europe durant les vacances d’été précédentes. Le problème est que j’avais très peu d’argent !

En explorant mes options, je suis tombé sur le programme TESOL, un cours de 120 heures pour être prof d’anglais langue seconde. J’ai trouvé une job dans une université située en région rurale dans le centre de la Chine.

Le but était d’y rester un an, puis de prendre mes économies et aller en Thaïlande pratiquer le muay thai.

Xavier: Après une courte carrière professionnelle (1 victoire, 1 défaite) j’ai déniché un autre emploi dans le nord de la Thaïlande, cette fois comme prof de sciences secondaire 3, maths secondaire 2 et anglais secondaire 1, dans un programme anglophone.

Je suis retourné au Québec après deux ans d’absence. Mon but était de trouver une « jobbine » quelconque et retourner voyager une fois que j’aurais économisé quelques milliers de dollars.

Par contre, j’ai trouvé que du travail à temps partiel au salaire minimum (et de méchantes jobs de merde, si vous me permettez de m’exprimer ainsi) alors je me suis retrouvé à explorer les sites d’emploi en Chine et reprendre l’avion vers l’Orient.

J’y suis toujours, 10 ans plus tard…

Ville de chine

Au cours des années, j’ai eu des hauts et des bas. Mais en général, j’ai gravi l’échelle, complétant un cours d’université en éducation à distance.

Tout ça en passant de « jobbines dead end » de prof d’anglais qui paient peu à des positions comme professeur de chimie au secondaire, ce qui paie pas mal plus, offre des possibilités d’avancement professionnel, et est bien plus dans mes cordes, la chimie étant ce que j’ai étudié à l’université.

Je ne me voyais pas trop devenir prof lorsque moi-même j’étais à l’école, mais c’est la vocation qui m’a atterri dessus et j’aime bien ça.

Jonathan: La vie en Chine doit être quand même assez différente que celle au Québec. Comment as-tu fait pour t’acclimater à ton nouvel environnement ?

Xavier: C’est sûr que c’est assez différent, mais en même temps, je travaille de 8 à 5 du lundi au vendredi, et je pratique une variété de hobbies le reste du temps.

La plus grosse différence est la langue, je travaille en anglais et j’ai surtout des amis dans la communauté d’expatriés, mais dans la vie de tous les jours.

Pratiquement personne ne parle anglais donc je me suis mis très vite à l’apprentissage du chinois, tâche monstrueuse et sans merci s’il en est une, mais qui paie beaucoup pour ce qui est de ne pas se sentir complètement isolé dans une bulle.

Avec le recul je me compte assez chanceux que ma première année fût dans une région rurale avec immersion à 100 %, et aussi que mes bons chums et collègues de cette époque avaient appris la langue à l’université aux USA.

Je les voyais faire leur magasinage sans effort alors que moi j’étais tout « pardu », et je les voyais discuter et rire avec les gens locaux (qui sont en général amicaux, curieux et hospitaliers) et je voulais être capable de faire ça aussi.

Il y a moyen de vivre en Chine sans parler la langue, tout comme il est possible d’habiter à Montréal dans une communauté immigrante insulaire.

Xavier: En fait c’est plus la règle que l’exception pour la majorité des étrangers ici qui y viennent juste pour un an ou deux question de voir le monde, mais ça limite pas mal.

Moi perso j’aime bien les langues étrangères donc au cours de ma vie de vagabond j’en ai acquis quelques-unes.

Sinon, au niveau de l’organisation sociale et la culture, il y a bien sûr des différences, mais rien de vraiment insurmontable si on approche ça avec une ouverture d’esprit.

Sans se laisser piler sur les pieds, il faut respecter le fait qu’on est un invité dans leur pays, et que certaines choses qui se font et se disent au Québec (ou en Angleterre ou n’importe où ailleurs) ne se font ou se disent pas en Chine, et vice-versa.

Mais comme j’ai dit, les Chinois sont en général très amicaux (surtout envers les gars blancs de 6 pieds qui parlent leur langue).

Je suis conscient que ma réalité serait probablement différente si j’étais par exemple une Africaine qui ne comprend pas le mandarin. J’ai eu quasiment juste des expériences positives.

Jonathan: J’imagine que le tout a dû débuter avec un solide choc culturel. Quelles sont les plus grandes différences dans le mode de vie ou les habitudes de la population ?

Xavier: Quelque chose qui frappe aussitôt est l’immensité du pays, et le nombre de gens. Plusieurs villes ont une population de plus de 10 millions, et même les bleds de province sont assez énormes.

Agoraphobes ou gens qui se sentent inconfortables dans de grosses foules s’abstenir ! Mais à ce sujet, avec le niveau de développement, le choc est pas mal moindre que, disons, en Inde ou autres pays avec une piètre infrastructure.

Un aspect important du choc culturel est l’homogénéité du pays, comment même dans les capitales provinciales je peux passer une journée complète sans apercevoir un seul autre étranger.

Et même si, je le répète, la majorité des gens sont amicaux, des fois leur curiosité et l’attention qu’ils me portent (enfants qui pointent, vieux bonhommes qui crient HELLO !, gens qui tentent de me prendre en photo) ça peut être un peu fatiguant, avec l’accumulation.

Et ne tournons pas autour du pot, les Chinois peuvent sérieusement manquer de civisme et de savoir-vivre, ça prend peu de temps avant de s’en rendre compte.

Que ce soit dû à un manque d’éducation, à un égoïsme engendré par le confucianisme, à un effet « Elvis Gratton » chez les nouveaux-riches, aux grosses foules, au patrimoine laissé par les années noires du communisme, ou à un mélange de tout ça, c’en est désolant de voir comment peu de considération qu’ils peuvent avoir pour les gens autour d’eux ou leur environnement.

Et maintenant que les Chinois voyagent à l’étranger en grands nombres, ce genre de choses s’exporte, et des agences du gouvernement impriment des pamphlets disant aux gens de ne pas couper les files d’attente, de ne pas cracher par terre, de ne pas endommager de statues, de ne pas écouter de vidéos sur leurs téléphones avec le haut-parleur au maximum, de respecter les règles des parcs nationaux, tout ça.

Et bien que je refuse de jouer la game du relativisme culturel en excusant des comportements objectivement anti-sociaux en disant « Ah, c’est juste leur culture » (ce qui est épouvantablement raciste et condescendant en soi), au moins je serai le premier à reconnaître que ça s’améliore au fil des années.

Reste que ce serait intellectuellement malhonnête de ne pas mentionner ça lorsqu’on parle de choc culturel.

Jonathan: Comment ont été ton accueil et ton intégration dans ton milieu de travail ?

Xavier: Les écoles où j’ai travaillé au cours des 10 dernières années sont des programmes américains ou britanniques au sein d’écoles secondaires chinoises, avec des cours de sciences, maths, économie, histoire, etc. donnés en anglais. J’ai des collègues de partout dans le monde : Europe, Afrique, Sri Lanka, États-Unis, entre autres.

Donc tout est mis en place pour nous aider avec la bureaucratie, trouver un appartement, et même des choses mondaines comme acheter une carte de téléphone cellulaire, pour ceux qui ont besoin de traduction.

Et les collègues qui sont là depuis un bout prennent souvent les nouveaux venus sous leur aile, pour ce qui est d’où sont les centres d’achats, les bons restos, et comment ça se passe à l’école aussi.

Parfois il y a des problèmes de communication entre le staff étranger et l’administration et/ou les profs chinois, et il faut être flexible et réaliste pour ce qui est de ce qu’on veut accomplir.

Mettre de l’eau dans son vin est nécessaire par bouts, comme un peu tout dans la vie.

Jonathan: Quelle est la plus grosse différence entre l’éducation au Québec, et celle de la Chine ? 

Xavier: La culture chinoise est très « top-down » et hiérarchique, et ça se voit dans leur système d’éducation. L’apprentissage par cœur est la norme, avec très peu d’attention portée à la pensée critique, la créativité, le questionnement.

Même dans notre programme anglophone ayant pour but de les préparer à des études à l’étranger, ils traitent l’anglais comme une langue morte.

Ils passent des heures sur des listes de vocabulaire compliqué et désuet plutôt que de favoriser une approche immersive, et ensuite ils se demandent pourquoi ils sont pratiquement incapables d’utiliser cette langue autre que pour cocher les cases d’examens à choix multiples, après 15 ans d’études.

Et donc puisque tout ça, c’est très inefficace.

Ils se trouvent à passer bien plus de temps sur les bancs d’école, du matin jusqu’à tard le soir et hop, dans des cram schools pour de l’étude supplémentaire, les fins de semaine et durant les vacances.

Ils se font véritablement tordre comme des éponges et je me sens désolé pour eux, quand ce n’est pas carrément que je me questionne, au niveau de mon éthique personnelle, pour participer à un tel système.

Comme pas mal de dilemmes, j’en viens à la conclusion un peu triste que « Si ce n’est pas moi, ce sera quelqu’un d’autre » et donc je tente de leur inculquer la pensée scientifique.

J’essaie aussi de bâtir sur ses connaissances déjà acquises pour trouver la réponse aux questions, et pousser une mentalité autodidacte, où c’est le fun d’apprendre au sujet du monde qui nous entoure et les réactions chimiques qui opèrent tout ça.

Pour ce qui est du positif comparé au Québec, je n’ai jamais travaillé comme enseignant là-bas autre que tuteur à temps partiel quand j’étais encore à l’université.

Mais en général j’ai très peu de problèmes de discipline avec mes petits Chinois et c’est un aspect assez plaisant de mon travail. Ils ont culturellement une appréciation pour l’éducation.

Jonathan: Tu vis maintenant à des milliers de kilomètres de ta famille et tes amis. Qu’est-ce qui est le plus difficile pour toi à ce niveau ?

Xavier: Je m’y suis pas mal habitué, et j’ai un bon cercle social ici, et une copine avec qui j’habite depuis plus de quatre ans.

De nous jours, avec l’internet et les logiciels de vidéoconférences, c’est assez facile de communiquer même si évidemment ce n’est pas exactement la même chose qu’être face à face.

C’est sûr que je m’ennuie un peu, mais ça fait partie de la vie que j’ai choisie (ou c’est-tu elle qui m’a choisi, comme dans la toune de Adamo ?)

La plus longue période non-stop sans retourner au Québec a été trois ans, et c’est un peu trop long. Maintenant j’essaie de retourner visiter maximum aux deux ans.

Une chose dont je m’ennuie pas mal est d’assister à des shows, je suis un fan fini de métal et de musique en général, et au Québec je me déplaçais souvent pour voir les groupes qui passaient en ville.

metal en chine

Au cours de mes années en Chine j’ai habité à des villes un peu plus grosses avec une pas pire scène, mais ces temps-ci il faut que je déplace à Shanghai, à quelques heures de bus ou de train.

Et au début je m’ennuyais aussi de la bonne bière de microbrasserie, mais depuis quelques années ça se trouve facilement ici, et j’ai même commencé à faire ma propre bière !

Jonathan: Est-ce que tu t’intéresses à la politique en Chine ? Peux-tu nous donner ton avis sur la façon dont le pays est dirigé ?

Xavier: Ouf, la question à 1000 yuans ! Commençons par clarifier que je suis un invité ici et que ce n’est pas ma job de m’ingérer dans leur politique ou leur dire quoi faire.

Mais reste que j’ai des opinions à ce sujet, et des opinions bien plus basées dans la réalité que ce qu’on voit dans les journaux, si j’ose dire.

Comme on peut s’imaginer de quelqu’un qui a déménagé à l’autre bout du monde et aime marcher au rythme de son propre drum, la liberté individuelle est une valeur importante pour moi, donc je ne peux pas être 100 % en accord avec la façon collectiviste et autoritaire dont les choses se font ici.

Ceci étant dit, il faut quand même rendre à César ce qui revient à César, et admirer la façon qu’ils ont sorti des centaines de millions de gens d’une pauvreté assez crasse merci, et ça ne se serait pas fait sans un tel système.

(Et là une rétorque habituelle est que ce sont les communistes eux-mêmes qui ont plongé la Chine dans la pauvreté, ce qui est pas faux, mais pas pertinent pour ce que je veux soutenir ici).

Justement hier, je discutais avec un expatrié originaire de Calcutta, qui déplorait comment la démocratie indienne est un échec total de corruption et d’inefficacité, alors que le capitalisme d’État et le gouvernement qui « niaise pas avec la puck » tel qu’on a en Chine en ont fait pas juste un pays émergent, mais une puissance mondiale.

Et un autre exemple serait la réponse au Covid, qui est plus ou moins sous contrôle depuis fin mars.

Est-ce que ce système vient avec d’énormes problèmes ? Aucun doute. Est-ce que je me pose parfois des questions éthiques épineuses au sujet du dilemme de l’omelette et des coquilles d’œufs cassés ? Oui.

Mais qu’est-ce que je peux faire ? Pleurer ? Partir une révolution ? Ou juste vivre ma vie et traiter les gens autour de moi comme étant séparés de leur gouvernement ?

Bien que ce ne soit pas mal le moins pire des systèmes possibles, et préférable à bien des niveaux à une dictature, j’ai toujours trouvé que bien des aspects de notre démocratie sont du niaisage et de l’hypocrisie, donc c’est assez rafraîchissant de ne pas avoir ça ici, autre que quand je lis les nouvelles.

Et on sent un certain optimisme, contrairement à pas mal d’Occidentaux qui sombrent dans le nihilisme et l’auto-flagellation en voyant leur empire décliner.

Je pourrais évidemment élaborer et nuancer longtemps, mais je terminerai avec deux choses. Sans vouloir faire de whataboutisme, l’Occident a pas mal de squelettes dans son placard collectif aussi, pas que ça excuse quoi que ce soit, mais c’est quand même un peu pertinent de le garder en tête quand on est martelé de propagande anti-chinoise.

Et justement, quand vous lisez de quoi au sujet de la Chine dans un journal américain ou canadien, demandez-vous s’il y a ou pas un biais assez évident et une ligne éditoriale qui a intérêt à faire mal paraître leur adversaire économique et politique.

Pas que le China Daily ou le Global Times soient bin mieux (ouf !), mais c’est ça que je veux exprimer ici, comme quoi mes bottes sur l’asphalte et mes yeux et oreilles grands ouverts me donnent une autre vue de ce pays, qui me font demander des fois si ces journalistes y ont déjà mis les pieds.

Jonathan: Pour terminer, quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui voudrait faire comme toi et aller enseigner en Chine ou ailleurs dans le monde ?

Xavier: Il y a plus ou moins deux mondes à considérer : celui des écoles internationales comme où je suis ou dans toutes les capitales et villes d’importance pour les enfants de diplomates et d’ingénieurs et tout ça, où ma copine et moi aspirons aller travailler un jour quand on voudra un peu de changement.

Il y a aussi l’industrie du ESL (English as a second language), avec ses cours aux adultes, aux enfants ou aux élèves, des fois de 9 à 5, des fois les soirs et week-ends.

Dans les deux cas, c’est une expérience que je recommande hautement, pour ceux qui veulent aller apprendre au sujet d’autres cultures.

Les écoles internationales recrutent des profs qualifiés et ayant déjà de l’expérience via des sites internet spécialisés (SearchAssociates et TIEonline sont les premiers qui me viennent en tête) ou à des foires d’emploi, et pour le ESL, c’est semblable, mais avec beaucoup moins de barrières d’entrée.

Un diplôme universitaire (en n’importe quoi, pas besoin que ce soit en éducation) est souvent obligatoire pour obtenir un visa de travail, un diplôme TESOL/CELTA/etc. est un atout, et ce n’est pas nécessaire d’être un anglophone de naissance, je ne le suis certainement pas !

Beaucoup d’information se trouve sur internet pour ce qui est de cette industrie et de comment trouver une job, mais je dois avouer qu’une grosse partie est passée date un peu, avec le monde qui change assez vite et surtout le Covid qui a mis pas mal tout sur la glace.

Reste que c’est pas mal le même processus, de fouiller pour des postes disponibles, envoyer son CV et autres documents, passer des entrevues via Skype, recevoir des offres, faire des recherches.

Jonathan: Merci beaucoup d’avoir pris le temps de nous informer un peu plus sur ta vie en tant qu’enseignant québécois en Chine. Je suis convaincu que mes lecteurs vont grandement apprécier.

Xavier: Ça me fait grand plaisir !

Continue le beau travail. Pour les gens qui seraient intéressés à lire mes récits de voyage, ils sont à http://quesstuvascrisserla.com/ et je me suis donné comme mission d’écrire un journal quotidien (en anglais) à http://john-guotong.blogspot.com/.

Aussi, mon webcomic (maintenant défunt) au sujet de la vie d’expatrié est encore en ligne sur https://laowaicomics.tumblr.com/.

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