Déclin de la langue française : On s’y prend à l’envers
** Ce texte sur le déclin de la langue française au Québec est une collaboration de M. Hervé Simard. **
J’ai l’impression qu’on s’y prend à l’envers quand on parle de défendre le français.
Comme dirait LJH (Louis-Josée Houde pour les intimes) : « M’EXPLIQUE ! »
J’ai été bercé par les chansons françaises et québécoises dans ma jeunesse. Michel Rivard, Richard Séguin, Claude Léveillée, Cabrel, Brasses, ainsi de suite. C’est assez ironique puisque ces temps-ci je n’écoute que de l’anglophone très américain/européen.
J’ai un baccalauréat en littérature française. J’ai lu Proust, Tremblay, Molière, mais bon. Assez de « name-dropping[1] ». J’ai lu beaucoup de texte français à l’époque, j’en lis encore, mais moins. Ma vie m’a amené ailleurs. Je lis aussi beaucoup d’anglais, et dans la langue d’origine, parce que dans la traduction, des fleurs de textes se perdent.
Quel point j’essaie d’amener ?
Aucun.
Je savoure la langue dans ce qu’elle m’apporte, la musique dans ce qu’elle crée. J’aime la précision de l’anglais, les tournures, la magie, comme j’aime la poésie, la floralité[2] du français, ses sens cachés.
Mais à un moment donné, j’ai eu l’impression d’une cassure, d’une absence. Ces géants de ma jeunesse ont été remplacés par autre chose qui pousse. Et, à mon (très) humble avis, ces générations qui ont pris leur place, ben, ils ont pris une plus petite place. Et ils continuent à se rapetisser, et, de peur, on tente de dresser des boucliers pour les protéger. Louable.
Il manque un quelque chose, comme je ne sais quoi
Voici une théorie : on n’a pas besoin de défendre ENCORE PLUS la langue, parce qu’on s’aliène entre nous. On se tiraille, on se chicane, et on s’enlève le goût d’en apprendre sur l’autre. On s’égare. On s’éloigne. On construit des murs, on pointe du doigt.
Il y a déjà des mécanismes en place. Ces mécanismes font leur travail. Leur consacrer du temps et des efforts est intéressant, mais on finira par atteindre un plafond. Il y a un maximum qu’on puisse faire à toujours peser sur le même bouton.
Un anglophone se sachant visé aura tendance à s’isoler, à se cacher, et, vous savez quoi, je le comprends. Parce que je suis convaincu que si on me faisait la même chose, si on me dénigrait (et Dieu sait qu’on le fait) parce que je parle français, et bien, je me cacherais.
Il ne s’intéresserait pas à une société qui le pointe du doigt et le traite en ennemi.
Voici donc une suite de la théorie, un point essentiel :
Et si on nous DONNAIT le goût d’en apprendre plus ?
Vendez-moi ma culture
Qu’est-ce qui définit la culture québécoise ? Qu’est-ce qui la rend si belle, si jouissive, si pleine en bouche qu’on veuille la boire encore et encore ? Aucune idée. Vendez-moi la vôtre !
Un exemple : un bon vendeur de voitures ne vous mettra pas en opposition les différents modèles en vous disant que : a) est de la merde, b) pue quand vous l’actionnez, et c) roule carré, il ne vous reste que mon modèle, on signe quand ?
Ça serait une stratégie perdue.
Il va vous la vanter, votre voiture, la rendre belle, avec des éclats. Vous allez saliver. Il va vous montrer à quel point vous perdez de vous en priver. Comme vous allez rayonner de la posséder.
Alors pourquoi on ne consacre que peu d’efforts à nous vendre notre culture ? Le Québec forme un bastion formidable foisonnant de culture. On crée, on exporte des joyaux au monde : c’est ça qu’il faut faire. Mais on ne le fait pas assez. On coupe. Et on pense que ça va vivre quand même.
Mettre les sous à la bonne place
Ce que je propose, c’est de changer l’orientation. Il faut mettre nos efforts à nourrir la culture, à incendier la place et à faire vibrer le patrimoine de notre langue et notre vie. On doit même DOUBLER nos efforts à ce sujet. Tripler. Faire exploser la baraque !
Augmentons les budgets, permettons aux studios de vivre et d’innover, parce que l’argent demeure le nerf de la guerre. Tu ne peux pas demander des trésors d’innovations à quelqu’un qui lutte pour survivre : il va boire à la première source, et s’il la tarit, les autres mourront.
S’il n’y a pas assez de place, ceux qui sont présents vont dévorer ce qui reste. Donnons une chance à tous de naître et vivre !
Investissons en masse dans la culture : le théâtre, le cinéma, la musique, la littérature, j’en passe, visons partout et visons global.
Créons des vases communicants, permettons à ces artistes de mieux vivre de leur plume, aux jeunes de démarrer et de créer, aux artistes établis de rivaliser avec les grosses machines américaines et européennes. Donnons des moyens de vivre et de se défendre !
Faisons. De. La. Pub ! Partout ! De la pub en France, en Belgique, en Afrique, et aux États-Unis, pour leur montrer que nos festivals sont les meilleurs, que nos bassins de culture sont vastes, que notre histoire est grande, et qu’on a EN MASSE DE STOCK POUR T’ÉPATER !
En bon français :
Plaçons nos sous à la bonne place, et « check nous ben aller ». Je suis convaincu que ça en vaudra la peine.
-Hervé Simard
[1] Ben oui toi ! Une expression anglaise.
[2] Oui je sais, ça n’existe pas, alors je l’invente. Et Toc !