Un monde sans frontière?
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Depuis le 1er novembre, j’ai la chance d’avoir avec moi un stagiaire jusqu’à la mi-décembre. En plus d’être une expérience enrichissante de partage et de collaboration, le tout me donne du temps libre (oui oui, du temps libre, je capote.)
J’en profite donc pour chercher à retravailler mes cours, réfléchir à ma pratique enseignante, et surtout me perfectionner sur des sujets qui touchent au contenu de mon cours de Monde contemporain.
Pour ceux qui l’ignorent, le Monde contemporain est une sorte de cours d’initiation aux relations internationales et à la géopolitique. On y mélange histoire, géographie, politique, économie, environnement et enjeux de société. Tous des sujets qui me passionnent au plus haut point.
Si vous saviez le plaisir que j’ai à l’enseigner à mes élèves.
Bref, un cours construit sur mesure pour moi et mes intérêts !
C’est donc dans ce contexte que j’ai donc eu la chance (et surtout le temps) d’assister à une excellente conférence, donnée par l’auteur et journaliste américain Todd Miller. L’événement était organisé par la Chaire Raoul Dandurand en étude internationale de l’UQAM.
Elle était aussi animée par Mme Élisabeth Vallet, directrice de l’observatoire de la chaire en géopolitique, que j’avais déjà eu la chance de rencontrer sur le plateau de l’émission 2 Hommes en Or il y a quelques années.
C’est une femme que j’admire beaucoup. (Fait intéressant, j’ai songé pendant longtemps faire un doctorat sous sa direction, mais ça c’est une autre histoire.)
Donc pour revenir au vif du sujet, la discussion s’intitulait : « Un monde sans frontière ? »
La simple lecture du titre était déjà en soi une grosse piste de réflexion.
Les changements climatiques, les conflits armés et les catastrophes naturelles étant de plus en plus importants, le concept de frontière et de déplacement de population est donc un enjeu central pour plusieurs pays de la planète.
Le concept de frontière est intéressant.
Car dans les faits, il n’existe pas.
Les lignes que nous voyons sur les cartes sont imaginaires. Elles ont été définies par des hommes (dans la très grande majorité des cas), au cours des années. Les grands empires de notre histoire ont tenté de repousser ces lignes aux confins du monde connu de leurs époques respectives.
Le tout s’est par contre accentué depuis la signature du traité de Tordesilas, entre l’Espagne et le Portugal au 15e siècle.
Ce traité, qui globalement divisait la terre en 2 zones de possession, marqua le début de la « frontiérisation » (un concept que je viens surement d’inventer) de la planète.
Tous les grands empires coloniaux ont par la suite défini leurs propres frontières sur leurs nouveaux territoires conquis à la grandeur du globe.
Ces lignes imaginaires ont ensuite été déplacées, effacées, ajoutées, au gré des prises de décisions de la classe dirigeante, des guerres et des événements historiques.
Ces différents éléments historiques ont donc forgé la carte du monde actuelle, avec ces différentes lignes frontalières entre les différents pays.
Mais concrètement, il n’en est rien. Jamais ces lignes n’ont réellement existé.
Il ne s’agit que de barrières imaginaires dispersées sur notre planète. Elles sont présentes, car on nous dit qu’elles existent. Et parce qu’on y croit.
Il s’agit d’une invention humaine, et non d’une fatalité géographique.
Pourquoi nous avons des frontières alors ?
Elles existent principalement pour 2 raisons : pour définir ce qui nous appartient et contrôler ceux qui peuvent y circuler.
Les monarques, les conquérants et les grands dirigeants de l’histoire ont simplement voulu délimiter la zone de leur pouvoir et influence. Ils voulaient donc définir ce qui leur appartenait.
Le but était aussi de pouvoir contrôler qui pouvait entrer et sortir du dit territoire sous le contrôle de l’autorité des lieux en question.
Il fallait par contre convaincre les autres de la légitimité de ces lignes fictives.
De nombreuses guerres ont donc éclaté purement sous le prétexte d’une mésentente autour d’une ligne, qui je le rappelle, est imaginaire.
Au fil du temps, la protection de ces lignes frontalières est devenue de plus en plus difficile.
Certaines lignes imaginaires sont donc devenues physiques. Des murs, des patrouilles armées, des systèmes de caméras, des barbelés et autres outils de dissuasion ont été érigés à certains endroits stratégiques.
Ce qui est le plus ironique, c’est qu’au moment d’écrire ces lignes, jamais le monde n’a été aussi interconnecté et intégré.
La mondialisation des marchés et de l’économie fait que nous sommes tous devenus interdépendants les uns les autres. On ne peut plus se passer de nos voisins, et nos voisins ne peuvent plus se passer de nous.
Et pourtant, de plus en plus de pays parlent de renforcer leurs frontières.
Il s’agit d’un paradoxe assez frappant de l’attitude de certains pays face aux autres.
Nous n’avons qu’à penser à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, avec le fameux mur de Trump. On peut aussi imaginer le mur entre Israël et la Bande de Gaza en Palestine, le détroit du Gibraltar entre le Maroc et l’Espagne (l’Union européenne par la même occasion), et j’en passe.
Mais derrière ces murs/frontières se cache aussi une industrie valant des milliards de dollars. Certaines personnes s’enrichissent donc considérablement par la mise en œuvre de système de surveillance et de protection de nos lignes imaginaires entre les pays. Le « buisness » des frontières, c’est payant.
Comme M. Miller l’a si bien dit dans sa conférence : Pourquoi on ne dépense pas l’argent utilisé pour la construction de murs/de patrouilles/de systèmes de surveillances et autres moyens de protéger nos frontières, pour actuellement l’investir dans les pays en difficulté qui sont la source des mouvements de population vers les pays développés ?
Or, si le déséquilibre entre les pays du nord et du sud était moins clivant, tout le problème des frontières deviendrait secondaire.
Si on utilisait les centaines, voire les milliers de milliards de dollars réservés aux frontières pour développer un meilleur tissu social mondial, les murs et les frontières n’auraient probablement plus autant d’importance.
Pourquoi ?
Car les gens ne veulent pas nécessairement quitter leur pays pour aller ailleurs. Ils le font, car ils n’ont souvent pas le choix. C’est une question de survie.
Des décennies d’exploitation par le colonialisme et le capitalisme ont laissé la majorité des pays du globe dans une situation économique et sociale catastrophique.
Ajoutons-y les conséquences des changements climatiques et nous avons la recette parfaite pour un exode de masse en provenance des zones les plus fragiles de la planète.
Mais quand on y regarde de plus près, au final, les pays qui construisent des murs sont aussi les pays qui sont en grande partie responsables des conditions de vie misérables dans les pays d’où proviennent les migrants.
Assez ironique vous ne trouvez pas ?
Finalement, je doute qu’un jour nous vivions dans un monde sans frontière, car l’homme étant ce qu’il est, les lignes imaginaires continueront de nous diviser au lieu de nous unir en tant qu’humains.
À moins que dame nature en décide autrement…
-Jonathan « le Prof » St-Pierre